Considérée pendant longtemps comme le fruit de saison le plus populaire, la figue de barbarie devient de plus en plus rare sur le marché marocain. Vendue autrefois à quelques centimes la pièce, elle voit aujourd'hui son prix s’envoler à plus de 5 dirhams. La raison de cette flambée des prix ? Une minuscule envahisseuse, la cochenille, qui décime les cactus à un rythme alarmant.

Comment cet insecte a-t-il pu ravager une culture si emblématique ? Que fait le Maroc pour sauver les cactus ? Quelles sont les découvertes récentes de la recherche scientifique marocaine dans la lutte contre la cochenille ? Quels sont les efforts déployés pour multiplier les variétés de cactus résistantes à cette menace ? Et les fruits de ces variétés sont-ils à la hauteur des attentes des consommateurs ?

Pour répondre à toutes ces questions et bien d’autres, nous nous sommes entretenus avec Dr Mohamed Sbaghi, directeur de recherche et chef de département de la protection des plantes à l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) et coordinateur national du programme de multiplication du cactus résistant à la cochenille.

Destruction massive des cactus et flambée des prix de la figue de barbarie

Selon Dr Sbaghi, le Maroc a perdu plus de 120 000 hectares de cactus à cause de la cochenille. Des régions entières comme Khenifra, Meknès, Sidi Ali, Moulay Driss Zerhoun, Fès, Taza et bien d'autres, ont vu leurs cultures de cactus détruites complètement. Cette destruction a eu un impact dévastateur sur la production de figues de barbarie ce qui explique la forte augmentation de son prix sur le marché.

Cependant, des efforts importants ont été déployer pour contrer cette menace qui a été signalé pour la première fois au Maroc en 2014 et dont on ignore l’origine jusqu’à présent.

"Certains disent que cet insecte est venu d’Espagne, d’autres disent que quelqu’un l’a introduit mais on ignore jusqu’à présent comment elle a débarqué au Maroc. Mais l’essentiel, c’est qu’il y avait un petit foyer en 2014 à Saniat Berguig. On disait à l’époque que c’est une cochenille qui produit l’acide carminique et que c’est intéressant pour l’industrie. C’était malheureusement une erreur. Ce n’est qu’en 2016 que la recherche s’est concentrée là-dessus et finalement il s’est avéré que c’est une cochenille sauvage qui détruit le cactus. On a travaillé, on a milité mais il n’y a pas moyen pour bloquer son évolution", regrette le spécialiste.

Pourquoi la cochenille est-elle difficile à éradiquer ?

La cochenille présente un véritable casse-tête pour les chercheurs du monde entier et son éradication complète semble impossible à cause de sa capacité de survie et de reproduction rapide, déplore le chercheur.

En effet, l'insecte a un mécanisme de protection très efficace grâce à la soie qu'il produit. Les recherches ont montré que certains produits naturels et même chimiques ont un effet significatif sur la cochenille, mais uniquement sur les insectes directement touchés. Ceux protégés par la soie restent en vie.

De plus, lorsqu'on tue la cochenille, elle libère des toxines qui endommagent la plante, causant la chute des raquettes, un phénomène connu sous le nom de la "terre brûlée".

Qu'en est-il du programme national d'urgence pour lutter contre la cochenille ?

Pour faire face à ce fléau, le ministère de l’agriculture avait mis en place en 2016 un programme national d’urgence pour lutter contre la cochenille. Ce programme s’articulait autour de 3 axes principaux : l’identification de variétés résistantes à la cochenille, la recherche de traitement biologique et la recherche de prédateurs naturels.

Pour ce qui est de l’identification de variétés résistantes à la cochenille, Dr Sbaghi affirme que la recherche a permis d’identifier 8 variétés (voir photo ci-dessous). "Et de 2016 jusqu’à maintenant, la résistance de ces variétés est toujours maintenue", assure le chercheur.

Quant à la recherche de traitement biologique, Dr Sbaghi affirme que plusieurs produits naturels, tels que le savon noir et le piment, ont montré une efficacité contre la cochenille, mais uniquement lorsqu'ils touchent directement l'insecte. Il y a aussi des insecticides qui tuent la cochenille mais, encore une fois, lorsque l’insecte est directement touché. Celui qui est protégé par la soie reste toujours vivant.

Ces résultats, estime Dr Sbaghi, sont enrichissant de point de vue scientifique mais leurs effets restent limités en pleine nature. Ces données peuvent, selon lui, aider d’autres chercheurs à développer des traitements dans l’avenir.

S’agissant de la recherche de prédateurs naturels, Dr Sbaghi affirme que la recherche a pu démontrer l’efficacité de certains comme les coccinelles, mais leur effet, encore une fois, reste limité en milieu naturel comparé aux conditions contrôlées en laboratoire.

Le Maroc, pionnier de la recherche scientifique dans la lutte contre la cochenille

Bien que nous n’ayons pas encore trouvé une solution totalement efficace contre la cochenille, le professeur affirme que la recherche scientifique joue un rôle crucial dans la lutte contre ce fléau. Et au Maroc, la recherche scientifique est très active et très avancée dans ce domaine. "Depuis 2017, pas moins de 60 articles scientifiques marocains ont été publiés dans des revues internationales de renoms, contribuant ainsi à l'enrichissement des connaissances globales sur ce fléau qui touche plusieurs pays", assure-t-il.

Quels sont les résultats du programme de multiplication de cactus résistants à la cochenille ?

Outre le programme national de lutte contre la cochenille, le ministère de l’agriculture a également mis en place un programme de multiplication de cactus résistants à la cochenille. En 2017, un parc à bois a été constitué par l’INRA grâce à une collection de cactus rassemblée par d’anciens chercheurs de l’Institut explique Dr Sbaghi.


"En 2019, du matériel végétal a été développé et grâce à ce matériel, 11 plateformes de parcs à bois de pré-base ont été établies dans différentes régions du Maroc, couvrant 105 hectares", se réjouit-il. Et en 2021, les plantations chez les agriculteurs ont démarré avec "1500 hectares plantés cette même année, 6000 hectares en 2022, 15000 hectares en 2023, et 16600 hectares en 2024", précise-t-il.

Ces efforts ont permis de planter des cactus dans différentes régions du Maroc afin de restaurer les surfaces cultivées et revenir à une production normale d’ici 2029 ou 2030, estime-t-il.

Les fruits de ces variétés sont-ils à la hauteur des attentes des consommateurs ?

Les fruits produits par ces variétés de cactus sont non seulement comparables à ceux du marché traditionnel, mais certains présentent même des caractéristiques gustatives uniques, mêlant des saveurs de betterave et d'orange.

"Nous avons testé plusieurs variétés de cactus pour nous assurer qu'elles produisent des fruits de qualité, similaires à ceux qui étaient auparavant disponibles sur le marché. Il s'est avéré que les fruits de ces variétés résistantes à la cochenille sont comparables en termes de goût et d'intérêt commercial.  J'ai personnellement testé ces fruits sur le marché et les retours des consommateurs ont été très positifs, certains qualifiant même ces fruits d'excellents", se réjouit le chercheur.

Et du point de vue chimique, ces fruits, assure Dr Sbaghi, peuvent être exploités dans l'industrie s'ils dépassent la période de maturité. Ils sont riches en huile et peuvent être utilisés pour produire divers produits tels que la levure, la gélatine etc, explique-t-il.

Et contrairement à certaines rumeurs véhiculées sur les réseaux sociaux, ces variétés de cactus ne sont ni des OGM ni des variétés croisées. "Il s'agit de variétés déjà présentes au Maroc depuis des décennies, répertoriées grâce aux travaux des chercheurs des années 70 et 80", détaille-t-il tout en affirmant que le Maroc disposait auparavant d’un patrimoine de 400 à 500 variétés de cactus, et les variétés résistantes identifiées font partie de ce patrimoine.

Contrôle rigoureux et engagement collectif : Les clés pour protéger les cactus

La lutte contre la cochenille nécessite une collaboration étroite entre les chercheurs, les agriculteurs et les autorités gouvernementales. Selon Dr Sbaghi, la sensibilisation et le contrôle sont tout aussi importants que la recherche scientifique. "Il est essentiel d'interdire la plantation de variétés sensibles à la cochenille, car cela favorise la propagation de l'insecte. Malheureusement, ces variétés continuent d'être vendues et plantées, ce qui complique les efforts de lutte contre la cochenille", déplore-t-il.

En outre, la propagation continue de variétés de cactus sensibles à la cochenille peut "favoriser l'émergence de mutations plus dangereuses de cet insecte, qui pourraient potentiellement affecter d'autres cultures", alerte Dr Sbaghi.

Malgré les défis, Dr Sbaghi reste optimiste quant à l'avenir de la figue de barbarie au Maroc. Avec une meilleure organisation et une sensibilisation accrue des agriculteurs, il est possible de surmonter cette crise et on pourrait revoir la figue de barbarie de nouveau envahir le marché.  

Meryam MESKI

Source: 2m.ma